Terres de feu, Vins flamboyants 1

Terre de feu… Feu follet… Lait de vache… Vache de ferme… Cette chanson en laisse enfantine des Trois Petits Chats n’est pas vraiment le sujet qui m’intéresse mais il faut bien démarrer avec humour cet article brûlant ! En effet, sur notre bonne vieille planète terre, les terres de feu ne sont pas en reste… Il s’agit des terres volcaniques qui parcèment les continents : l’Etna et le Vésuve en Italie, le Mont Raignier, le Kilauea et Saint Helens dans l’ouest des USA (entre autres), le Llaima au Chili, Santorin dans les îles Grecques, le Ruapehu en Nouvelle Zélande (entre autres)… sans oublier les nombreuses autres terres qui sont au Japon, en Russie, en Indonésie, sur la côte ouest de l’Amérique du Sud, en Islande, en Afrique (Péninsule Arabique principalement et Congo), en Islande et même en France. 

Il est paraît-il des terres brûlées donnant plus de blé qu’un meilleur avril… Ces terres qui ont souffert sont au final peut être les plus fertiles et aux pieds des volcans, on retrouve souvent des vignobles ! Alors focus sur ces terres de feu : pourquoi est-ce l’endroit idéal pour faire du vin ? 

« Il n’y a pas de fumée sans feu » 

Carte des volcans dans le monde

Un jour un ami m’a dit que les terres volcaniques étaient pleines de souffre et que donc on avait pas besoin d’en rajouter dans le vin pour le stabiliser et prévenir des altérations… J’ai trouvé que c’était intéressant et c’est pour cela que j’ai voulu lire, potasser et découvrir ce sujet des terres volcaniques donnant vie à des vins de feu ! Mais en fait, c’est beaucoup plus complexe et il n’y a pas tant d’écrits que cela. Un livre que j’ai pu obtenir est des plus complets et des plus faciles à lire : « Vins de Feu – à la découverte des terroirs des volcans célèbres » de Charles Frankel aux éditions Dunod. Cet homme, Charles, est géologue de formation mais il est aussi un amateur éclairé de vin. Il s’est levé un matin et a décidé de faire un reportage sur ces deux passions : vin et volcan… Bonne idée ! Mais ce livre est plus un appel au voyage, un guide, qu’une démonstration par A+B que les sols sont idéaux pour la viticulture (même s’il le sous entend). Je vous invite pourtant à le lire si cela vous intéresse ! En attendant, focus sur les grands volcans dont j’ai pu obtenir quelques secrets ! 

La magnifique ville de Oia

1) La Grèce – Santorin 

Santorin est une île grecque… Vous en avez entendu parlé, forcément… Si je vous dis des petites maisons blanches, des toits dômes bleus, une mer Egée bleue sombre, une falaise escarpée… Oui c’est cela, un autre rêve éveillé ! Figurez-vous que cette petite île a connu l’éruption volcanique la plus puissante au monde jamais répertoriée en 1620 av JC ! 

En effet, selon les études, le volcan Santorin est en sommeil et a l’habitude de se réveiller tous les 20 000 ans. En attendant il y a quand même des petites coulées de lave dans la caldera mais rien de bien méchant comparé à son éclatant réveil ! Santorin est une cocotte minute ! La lave est dans une poche de 3km sous le fond marin (d’environ 52 500 millions de mètres cubes) et se remplit de gaz doucement mais surement. En 1620 avant JC (grâce à des datations au carbone 14 notamment), un séisme de magnitude 7 avait touché les colonies quelques semaines ou mois avant l’explosion. L’îlot central a ensuite explosé et une pluie de scories (lave durcit par le contact avec l’air) va recouvrir les villes d’une dizaine de centimètre. Mais cela n’est que le début signifiant que le magma est entrain de remonter à la surface : le magma va rentrer en contact avec l’eau et le couvercle va donc sauter avec la vapeur d’eau. Les gaz libérés vont propulsés des pierres ponces et la colonne éruptive va atteindre la stratosphère (30km). Les villes vont alors être recouvertes d’un mètre de pierres ponces. Mais ce n’est pas encore fini !! L’agrandissement de la cheminée volcanique avec l’évacuation des pierres ponces par les gaz va permettre à la mer de s’engouffrer dedans créant ainsi une explosion avec un nuage incandescant détruisant tout sur son passage et déposant cette fois-ci 10 mètres de poussières ! Mais ce n’est pas encore fini (et là vous avez compris que les habitants n’ont eu aucune chance de s’en sortir) ! La mer s’engouffre de nouveau dans la chambre magmatique induisant une expulsion de boues brûlantes atteignant les 50 mètres d’épaisseur. La chambre s’effondre alors sur elle-même dans un bouquet final de 60 kilomètres cubes raisonnant à des milliers de kilomètres à la ronde. On a découvert des linceuls de 60 mètres de pierres ponces alors qu’à Pompéi le maximum est de 7 mètres de cendre ! On a aussi retrouvé des couches de 15 centimètres de cendre jusqu’en Asie mineure !  Aujourd’hui, les habitants connaissent un calme tout relatif. S’ls peuvent compter sur une prochaine éruption dans plusieurs millénaires, il n’en reste pas moins le problème des séismes. Le dernier ravageur en date était en 1956 : 7,6 sur l’échelle de Richter qui a démolit les habitations et créé un raz-de-marée frappant la côte. 

Mais alors comment la vigne est-elle arrivée sur cette île ? Pourquoi le « Vinsanto » est-il si célèbre ? 

Le paysage de Santorin après le cataclysme est lunaire : des pierres ponces partout sur plusieurs mètres d’épaisseur, stériles. Il faut attendre que les brumes marines et les pluies nourrissent le terrain, que les graines distribuées par les oiseaux et les vents prennent racines. Ainsi la vigne et les oliviers vont pouvoir pousser. Trois siècles après l’éruption volcanique, Santorin va être de nouveau habité et la vigne va devenir un élément du commerce important. Des cépages blancs comme l’Assyrtiko (75% du vignoble), l’Athiri et l’Aidaini vont rentrer dans l’assemblage du vin qui fera la fortune de l’île : le Vinsanto. Les raisins sont cueillis à maturité et sont séchés sur les pierres blanches au soleil durant deux semaines. Alors il faut 10kg de raisins pour faire 1 litre de ce nectar. Grâce à son taux de sucre et d’alcool, ce vin doux était facile à transporter par bâteau. Il y a en tout une vingtaine de variétés produisant ainsi majoritairement du vin blanc (Santorini ou Vinsanto) mais aussi du rosé et du rouge. 2500 viticulteurs se partagent 1500 hectares de vignes et survivent grâce à la coopérative locale Santo Wines (il est plus intéressant de vendre les terres au profit du tourisme que de faire du vin). 

La pierre ponce joue un rôle fondamental dans cette réussite viticole. Pendant que les vignobles européens sont détruits par le Phylloxéra, le vignoble de Santorin ne connaît pas ce malheur : le parasite n’aime pas ce sol granuleux et sans argile. Aujourd’hui donc, les vignes sont encore francs de pied ! Certains ont plus de cent ans, voir 400 ou 500 ans… Les viticulteurs coupent parfois le pied mais laissent les racines afin que le plan repousse. Autre pratique : le marcottage, comme les fraisiers. Les viticulteurs prennent un rameau de la couronne, le guident à l’extérieur et plantent son extrémité dans le sol pour qu’elle prenne racine. Après 4 ou 5 ans, les viticulteurs coupent le rameau ombilical pour qu’il soit totalement indépendant. Le climat de Santorin est désertique : 3600 h d’ensoleillement, 20cm de pluie par an et un vent chaud et sec venant d’Afrique. Ce vent a un rôle essentiel dans le vignoble car il soulève les cendres volcaniques et pratique un sablage (il projette les cendres sur la vigne). Par contre, pour éviter que ce sablage blesse la vigne et les raisins surtout, une taille courbe près du sol est pratiquée : Kouloura. La vigne prend donc la forme d’une couronne et les grappes se développent à l’intérieur de ce bouclier végétal. La caldera de Santorin est un chaudron : frais durant la nuit et au petit matin, créant une brume que le vent chaud va assécher dans la journée. Mais la taille en couronne permet à la vigne de garder cette précieuse ration d’eau ainsi que le terroir de pierre ponce. La pierre ponce est une lave poreuse dont la composition est riche en silice, en aluminium, calcium et sodium. Les tailles variables des pierres permettent au sol de ne pas se tasser et de ne pas étouffer les racines de la vigne. De plus, la pierre ponce absorbe comme une éponge le peu d’humidité de l’île (brume de la nuit mais aussi embruns conférant un côté salin aux vins). Enfin, la pierre ponce est faible en potassium et permet ainsi de créer des vins acides (le potassium neutralise les acides du moût) apportant ainsi fraîcheur et potentiel de garde. 

Les vignes sont en couronnes à Santorin pour se protéger du vent

Autrement dit non seulement Santorin est une destination très jolie mais les vins sont aussi très bons et uniques ! Lets go !! 

2) L’Italie – Le Vésuve et l’Etna

A) Le Vésuve 

Une date : 79 avant JC. Un lieu des plus connus : Pompéi (mais il y a aussi Herculanum et Stabies). Un vin emblématique : Lacryma Christi, les larmes du Christ. Direction le sud de l’Italie, près de Naples pour voir de plus près pourquoi et comment ce vin est flamboyant ! Le Vésuve est en repos actuellement depuis 1944 mais les volcanologues sont inquiets : plus le volcan s’endort, plus son réveil sera brutal… Et ce volcan ne fait pas dans la dentelle. 700 000 personnes de 20 communes vivent à moins de 10km du cratère et Naples à 20km regroupe 800 000 habitants (3 millions si on compte la banlieue) qui sont alors autant exposés aux nuées ardentes. Situé en Campanie qui est une région viticole italienne, le volcan nous dévoile ses secrets petit à petit grâce à ce tombeau enseveli qu’est Pompéi (1/3 de la ville reste encore enseveli). Déjà à l’époque le terroir est idéal pour la culture de la vigne : un sol léger, riche en minéraux avec une exposition sud/sud est qui est tournée vers le soleil levant, à l’abris du vent du nord et des pluies. Le vin est consommé partout : on dénombre 200 tavernes à Pompéi et en quantité puisqu’un Pompéien consomme en moyenne 130 litres de vin par an (en France aujourd’hui on consomme 50 litres !). On peut conclure très facilement que la région était une habituée de la viticulture. 

Pompéi et le Vésuve

Pline le Jeune va décrire avec précision l’éruption volcanique du 24 Août (ou 24 Octobre). On l’appelle éruption plinienne en son hommage : une colonne de 15km d’altitude s’étendant horizontalement comme un pin parasol, emplit de pierres ponces et de poussières volcaniques. Pompéi est recouverte de scories et cela s’empire d’heure en heure : l’obscurité devient progressivement totale. Tout commence à 13h et déjà à 20h la ville est ensevelit sous 2 mètres d’épaisseur. A 2h du matin, la première nuée ardente descend du volcan (mélange de scories et de gaz chauds à 600°C dévalant les pentes à plus de 100km/h) telle une avalanche et se dirige vers Herculanum. Une seconde nuée ardente aura lieu puis une troisième vers les 6h du matin qui se rapproche de Pompéi. C’est la quatrième qui sera fatale à la ville à 7h du matin. Deux autres nuées (qu’on appelle aussi surges) recouvriront la ville dans l’heure d’après, atteignant alors les 7 mètres d’épaisseur de poussières et de pierres ponces et allant jusqu’à la ville de Stabie. 1100 victimes ont été retrouvées durant les fouilles… Il en reste encore. 

Les vignes repoussent sur les terres brûlées

Pompéi ne sera jamais reconstruite mais on sait grâce à l’archéologie viticole les cépages de l’époque : Fiano, Greco, Aglianico, Caprettone, Piedirosso et Sciascinoso (qui donnent le Lachryma Christi rouge); Falanghina et Coda di Volpe (qui donnent le Lachryma Christi blanc). En 1996, ces cépages sont replantés dans les décombres de Pompéi. En l’an 2000, l’agronome en charge du vignoble comptabilise 2 hectares. Le terroir de Pompéi et du Vésuve est unique : un sol poreux et filtrant qui plait à la vigne grâce notamment à la présence importante de potassium dans la lave, fertilisant naturel. L’utilisation des pentes du Vésuve pour la culture est aussi un avantage pour jouer sur l’altitude et l’ensoleillement. Il y a clairement deux étages dans le Vésuve : la partie supérieure est difficilement accessible et dénudée de végétation alors que la partie inférieure est verte. Le Vésuve et ses environs sont des endroits difficiles car même s’il est endormi, de nombreuses éruptions ont eu lieu. Il faut plusieurs années voir siècles pour que les terres redeviennent cultivables. 

Visitez donc Pompéi et ses environs en faisant attention aux vols à l’arraché à Naples (petite expérience personnelle !). 

B) L’Etna

Irruption de l'Etna

L’Etna ou Mongibel (Montagne des montagnes) n’est pas un volcan comme un autre. Toujours actif, s’il dégage des fumées blanches, des cendres noires, des fontaines de magma, des scories, s’il ouvre des fissures et dégage des coulées de lave, l’Etna n’est pas un volcan meurtrier. Les habitants de la Sicile lui sont donc reconnaissants tout en le craignant. Le crédo des siciliens est le suivant : « Che si lasci correre il fuoco laddove la Providenza l’ha destinato » autrement dit il faut laisser courir le feu là où la providence le veut. Culminant à 3350 mètres d’altitude, l’Etna est aussi un volcan hors norme dû a son activité incessante depuis des millénaires. Avec un tour de taille de 140km, sa superficie est de 1250km2. Les habitants cultivent des agrumes (orange rouge de Sicile), des olives et des pistaches (pistaches de Bronte) en bas de la pente, des châtaignes en altitude (en dessous de 2000 mètres d’altitude, au dessus il peut y avoir de la neige) et c’est la vigne qui est maître dans sa ceinture entre 400 et 800 mètres d’altitude voir 1200 mètres ce qui en fait l’un des vignobles les plus élevés d’Europe. Les terres sont fertiles grâce notamment à une composition des laves particulière : basaltes riches en sodium et potassium. Ce qui rend l’Etna difficile à classer avec les autres volcans. 

L’Etna est aussi un volcan à part car les habitants, aidés par les volcanologues et les technologies modernes, vont déviés les coulées de lave du volcan. Il y a comme une aura sur cette île.  

N’oubliez pas que c’est en enivrant le cyclope avec du vin de l’Etna qu’Ulysse va pouvoir s’enfuir ! Les vignobles de l’île ne datent pas d’hier. Déjà au VIIème siècle avant JC, le vin de la région était exporté en amphores. Les vins ont une qualité non négligeable pour l’époque : ils sont adaptés à la navigation grâce notamment à leur composante tannique forte (cépage tannique et élevage en fût de chêne ou châtaigner accentuant les tannins). En 1848, le cadastre recense 50 000 hectares (soit le double du vignoble de la Bourgogne) et 75% des surfaces plantées en altitude (entre 500 et 1000 mètres) sont des vignes en terrasses. Le phylloxéra marquera la fin d’un âge d’or de plusieurs millénaires : en 1960 le vignoble représente 3000 hectares contre 30 000 en 1900. En 1968 une AOC est donnée aux vins de l’Etna, sauvant ainsi les meubles ! Depuis 2011, la mention ‘Contrada’ – cru, est autorisée sur l’étiquette des vins AOC. Aujourd’hui le vignoble regroupe 4000 hectares et 3000 propriétaires.

Vin de feu Etna

Les cépages sont majoritairement autochtones : Nireddu (ou nerello mascalese), Nerello Cappucio, Carricante, Minnella et Catarratto… Les vignes sont taillées de façon traditionnelle : cela s’appelle « alborello ». Les pieds sont soutenus par un piquet en châtaignier et se développe en gobelet. Les vignes sont aussi disposées en quinconce pour avoir une exposition au soleil optimale. Seulement 4 ou 5 grappes sont laissées sur chaque plants. Le terroir est encore très important : la mention Contrada englobe totalement cette notion. Il y a donc le flanc sud est (coulées de lave d’époques romaines et médiévales, anciens cônes de scories, face méridionale la plus chaude), le flanc est (influence marine, fraîcheur et pluviométrie deux fois plus élevée que les autres faces du volcan, sols calcaires et sablonneux, basalte), le flanc nord tournée vers l’Orient (côte d’or de l’Etna, sol argileux, riche en silice, anciennes coulées de lave et plus récentes, plus en altitude il y a des sables volcaniques)…

Les viticulteurs de l’Etna produisent des vins blancs, rosés, rouges mais aussi mousseux ! Rien que du bonheur !

Un livre passionnant sur les vins de feu

Voici donc la première partie de ces vins flamboyants ! Rendez-vous très vite pour la seconde partie !!

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