La Guerre des Bouchons 1

Petit article sur deux régions françaises en proie à la discorde… L’une à l’ouest, l’autre à l’est. L’une plus au sud, l’autre plus au nord… Déjà géographiquement parlant, c’est l’opposé !  Ce n’est pas le même accent, pas le même climat et surtout… surtout pas le même type de vin ! Pourtant, ces deux régions viticoles sont sûrement les plus prestigieuses de notre terroir : les vins sont d’une grande finesse et reconnus partout dans le monde ! Ces régions sont les poumons d’un monde viticole qui ne respirent pas forcément à l’unisson mais qu’importe, elles touchent notre cœur ! 

Bordeaux et la Bourgogne, deux ‘B’ comme pour baston… Bim ! Bam ! Boum ! ! On entend souvent les fans de Bordeaux dénigrer le Bourgogne et les amoureux de la Bourgogne cracher sur le Bordeaux… La guerre des bouchons est déclarée… Mais pourquoi ? Comment ? 

 PARTIE 1) ‘Quand je serai grand, je serai alcoolo‘ La Guerre des Boutons

La guerre Bourgogne vs Bordeaux, c’est la guerre de deux goûts et de deux conceptions du vin. De quand date cette discorde ?  Bonne question qu’il est difficile d’élucider… Sûrement depuis la nuit des temps ! Pouvons-nous d’ailleurs vraiment parler de guerre ? J’ai bien l’impression que oui. En effet, comme je le notais plus haut, les pro Bourgogne n’aiment pas les pro Bordeaux et inversement. Il faut dire, objectivement, que les vins issus de ces régions sont radicalement différents ! Voyons de plus près les différences flagrantes entre les deux B. 

  • La classification : préparez-vous à brûler des neurones ! 

La classification bordelaise est des plus simples : il en existe plusieurs et elles prennent toutes en compte la qualité des Châteaux. La première, la plus célèbre, est née en 1855 : l’Empereur Napoléon III, a demandé aux courtiers de Bordeaux de classer (c’est politique tout cela, ne l’oublions pas) les propriétés viticoles selon les prix et les affinités pour les présenter lors de l’Exposition Universelle de la même date. 

Rive gauche,  61 crus rouges et 27 liquoreux (à l’époque les vins blancs secs n’étaient pas à la mode) ont donc été classés.  Notons que les vins de Saint Emilion et de Pomerol ne font pas partie de ce classement de l’époque. Pour les rouges, c’est simple : les 61 crus sont classés du 1er au 5ème Grands Crus Classés. Il y a actuellement 5 premiers : 4 du Médoc et 1 de Pessac Léognan. Petite anecdote, il n’y avait que 4 premiers : Château Mouton Rothschild est le seul cru a avoir pu modifier sa place en passant de second à premier en 1973. Enfin, pour les liquoreux situés à Sauternes et à Barsac, on trouve 27 crus classés de Premier Supérieur à Second avec un seul Premier Grand Classé Supérieur, il s’agit du Château d’ Yquem. Viennent ensuite 11 premiers et 15 seconds. 

En définitive, les autres classements ultérieurs complètent celui de 1855 qui n’a jamais bougé et qui, je pense, ne bougera jamais. Des lacunes apparaissent pourtant dans cette classification : grands absents, les vins de la Rive droite (Saint Emilion et Pomerol) mais aussi les vins des Graves (seul le Château Haut-Brion a été classé Premier et fait partie de la région des Graves). 

En 1953 (puis revu en 1959), le classement des vins des Graves est donc né pour réparer cette injustice : 7 crus classés en rouge, 3 crus classés en blanc et 6 crus classés en rouge et en blanc. Le Château Haut-Brion, encore lui, est d’ailleurs le seul château à faire partie de deux classements. Puis en 1954, c’est le classement de la Rive droite (enfin des Saint Emilion) qui voit le jour : il est révisé tous les 10 ans, permettant ainsi de renouveler les polémiques… Le classement comprend deux catégories : les Saint Emilion Premier Grand Cru A (comme le Château Cheval Blanc) ou B et les Saint Emilion Grand Cru Classé. Environ 72 crus le composent.

Autres classements : les Crus Bourgeois qui date de 1932 et les Crus Artisans reconnus en 1994 par l’UE mais existant depuis 150 ans. 

Imaginez : pour Bordeaux, c’est simple… Pour la Bourgogne, c’est un peu plus chaotique… Enfin pas vraiment, mais ce ne sont pas les crus qui sont classés mais les terroirs : attention, il y a une multitude de terroirs !  

Il existe quatre classifications : Il y a des appellations régionales (les moins prestigieuses avec sur l’étiquette le nom de la région Bourgogne et souvent le cépage Chardonnay ou Pinot Noir), 

des appellations communales qu’on appelle aussi Village (sur l’étiquette, vous retrouverez le nom du village ou des deux villages mitoyens comme Chambolle-Musigny ; il y a 41 Villages mais pas 41 vins attention !!), 

des Premiers Crus (sur l’étiquette, vous aurez le nom du terroir qu’on appelle aussi climat, suivi du terme premier cru qui n’a rien à voir au final avec les 1er crus de 1855),

 et des Grands Crus qui représentent 1,5% des vins de Bourgogne (sur l’étiquette, vous trouverez le nom de la parcelle suivie de la mention Grands Crus). Les Grands Crus sont blancs et rouges et majoritairement situés au nord de la région Bourgogne dans les zones Côte de Nuit et Côte de Beaune. 

A la différence de Bordeaux, les crus classés de Bourgogne sont goûtés chaque année par un collège d’experts et peuvent être déclassés en Premiers Crus. 

En fait je ne sais pas quel classement est le plus simple. C’est vrai que j’ai l’habitude de Bordeaux donc c’est peut être plus évident pour moi de classer une propriété qu’un terroir… Car sur un terroir il peut y avoir une dizaine de propriétés détenues par des dizaines de propriétaires !! Bref le néophyte en perd ses petits ! 

  • Châteaux contre Clos : un nom pour dire la même chose  

A Bordeaux on parle de Château… Mais cette appellation n’inclut pas forcément de bâtiment : à Bordeaux, les propriétés sont des terres plantées de vignes et parfois une belle demeure  en pierres blondes de Gironde sommeille sur la propriété mais ce n’est pas une généralité. Dans le langage juridique flou bordelais, un Château est un vin de qualité produit dans un domaine précis avec une méthode donnée… Bref, le nom ‘Château’ est un concept plutôt récent qui s’affirme à la fin du XVIIIème siècle. On ne sait pas quelle propriété s’est appelée ainsi en premier mais on pense qu’il peut s’agir du Château Haut Brion. Le propriétaire de l’époque, Jean de Pontac, érigea une bâtisse, un manoir, avec des symboles castraux synonyme de sa puissance. Le nom Château est ensuite rentré très vite dans le langage commun. 

En Bourgogne par contre, le terme de Château n’est pas utilisé. L’histoire veut que ce soit les moines qui aient démarré la viticulture sur ces terres. Afin de délimiter les terroirs qu’ils cultivaient et dont ils connaissaient les différences de qualité, les moines ont construit des murets en pierres. Ainsi sont nés les clos et l’un des plus connus de la Bourgogne est le célèbre Clos Vougeot dont on peut toujours admirer le fameux muret. Au final il y a un côté presque paysan dans ces Clos : les propriétaires sont ancrés dans leur terre, il y a un véritable attachement.

On retrouve aussi cet attachement dans les Châteaux bordelais mais malheureusement il disparaît : de nombreux Châteaux sont encore détenus par des familles mais elles sont de plus en plus remplacées par de grands groupes de luxe comme LVMH ou AXA. Il y a une grosse production : plusieurs centaines de milliers de bouteilles pour les grosses propriétés. En Bourgogne, le Clos Vougeot est un joli exemple qui expose parfaitement la différence avec Bordeaux : les 50 hectares sont détenus par 50 propriétaires différents qui produisent 80 vins différents aussi ! Les Clos aiment les micros cuvées de quelque dizaine de milliers de bouteilles. 

  • Le contenant : barrique, bouteille et verre

Encore une différence entre nos deux régions viticoles qui concerne cette fois-ci les contenants !  

Bénéficiant d’une chauffe plus ou moins forte accordant au vin des arômes plus ou moins prononcés (vanille, boisé, coco, clou de girofle…), la barrique ou le fût va remplacer progressivement les amphores fragiles qui servaient au transport du vin et d’autres liquides à l’époque gallo-romaine au IIIème siècle. En effet, la barrique était largement utilisée dans les deux régions pour le transport. Aujourd’hui, c’est pour l’élevage que les tonneliers s’arrachent les marchés. A Bordeaux, le bois occupe une place prépondérante dans l’expression des grands crus, une touche qui se doit d’être bien intégrée mais que l’on doit tout de même sentir. En Bourgogne, cette note doit être plus que discrète, voir imperceptible car c’est le fruit qui est recherché. Il n’empêche que la barrique a sa place dans les caves. A Bordeaux, la barrique en chêne est reine. D’une contenance de 225 litres (45kg), la barrique bordelaise est le classique des classiques. La barrique de transport est cerclée avec de l’acier inox (6 ou 8 cercles) et elle est utilisée majoritairement. La barrique ‘Château’ est aussi en chêne français et a la particularité d’avoir 4 cercles en châtaignier supplémentaire à ses extrémités.

La barrique bourguignonne ou pièce est aussi très célèbre. Elle est légèrement plus grosse avec 228 litres et est également cerclée mais avec 10 cercles en acier inox. Plus petite avec 88cm de hauteur (contre 95 pour la bordelaise), elle est parfaitement adaptée aux caves de la Bourgogne. Son ventre est plus galbé afin que les lies s’accumulent plus facilement. 

Pour l’anecdote, le terme ‘barricade’ vient de la région de Bordeaux et du terme barrique. Cette ville a toujours été en révolte contre l’autorité (cela a commencé déjà à l’époque d’Aliénor d’Aquitaine alors épouse du Roi d’Angleterre : Bordeaux, sous coupole anglaise à cause ou grâce à ce mariage, était donc en opposition avec la capitale et le Roi de France). 

On retrouve aussi une grande différence entre les bouteilles et les verres de Bordeaux et de Bourgogne. En effet, un côté religieux pourrait expliquer ces différences : je trouve cette théorie séduisante mais je n’y crois pas beaucoup… N’oublions donc pas que Bordeaux était protestante alors que la Bourgogne était catholique. Aussi la bouteille bordelaise est sobre et pratique, facile au final à empiler dans les caves. On la décante à la bougie afin de clarifier le vin devant Dieu (c’est assez biblique comme concept). Le verre tulipe est resserré au bord, l’ensemble est donc classique, fin et assez droit. En Bourgogne, on aime les formes ! La bouteille a du ventre avec un épais goulot. On ne décante pas le vin et il paraît que plus elle est poussiéreuse, mieux c’est ! Le verre aussi est ventru, bedonnant, très différent du verre bordelais : peut être puis-je oser la comparaison avec le bel embonpoint des  bons moines amateurs de bon vin… Cette théorie me fait penser que l’auteur avait un petit ressentiment quand à ‘l’occupation’ anglaise de l’Aquitaine et donc à la religion protestante. 

D’un point de vue historique, la bouteille bordelaise coudée a une forme parfaite pour être rangée dans les cales des bateaux. Le coude permet aussi de ne pas faire couler la lie qui se trouve au fond de la bouteille. La bouteille bourguignonne est plus aérodynamique, plus souple et sensuelle. Elle est une représentation du vin qu’elle contient.  

Cet article n’est pas terminé mais nécessite de s’arrêter là afin de digérer les premières informations convenablement. Pour une digestion plus facile, je vous conseille d’ouvrir une bonne bouteille de vin, de Bordeaux ou de Bourgogne, mais toujours dans la bonne humeur ! Nous avons pu observer des différences ‘vu du ciel’ entre les deux B… Nous allons rentrer dans la seconde partie dans le vif du sujet et parler des différences gustatives. 

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