La Reine Margaux était toute de rouge vêtue…

Dans la famille des Premiers Grands Crus Classés depuis 1855, je demande le Château Margaux. Ce dernier est-il encore à présenter ? Situé à Margaux, aux portes du Médoc, il vous faudra laisser les Châteaux Palmer et Rauzan Ségla derrière vous pour accéder au domaine. Au détour d’un chemin, une allée d’arbres vous accueille. Au loin, un nuage de fumée se dégage des vignes nues et sombres. Un homme avec son ballot de sarments se dirige vers cette dentelle blanche afin de ranimer la flamme… Avec ses aller-retours incessants, il semble être perdu dans un océan de vignes. Dans le lointain, une demeure observe ce curieux ballet dans un noble silence. Le ciel gris nous éblouit et fait briller les milliers de gouttes d’eau sur les palissages. L’averse est passée mais elle ne saurait revenir… Il est temps de se diriger vers les bâtiments en belle pierre de Gironde pour démarrer la visite. 


« Dieu n’avait fait que l’eau, mais l’homme a fait le vin » Victor Hugo

Château Margaux

L’accueil est sympatique, ponctuel et il faut dire qu’avec une réservation faite deux mois à l’avance, l’impatience commençait à me gagner. La visite démarre avec un bref retour sur le passé du Château Margaux. Un passé chargé entre changements de propriétaires, de noms mais aussi une destruction de la demeure après la Révolution Française en 1801 par le Marquis de la Colonilla qui trouve que le manoir existant n’est pas assez digne de son rang… D’ailleurs, ce Marquis n’habitera jamais sa demeure, car il décédera bien avant que les travaux du « Versaille du Médoc » ne soient finis.

Le Château Margaux est donc né au XVIème siècle et connaîtra la ‘gloire’ en 1855. C’est lors de la seconde Exposition Universelle organisée par Napoléon III, que le Château Margaux, seul à avoir obtenu 20/20, deviendra un Premier Grand Cru Classé du Médoc. 

Plus tard, deux familles importantes joueront un rôle dans l’histoire du Château Margaux: il s’agit d’abord de la famille Ginestet qui prend la tête de la propriété dans les années 50. Ginestet, si vous travaillez dans le monde du vin, est un nom qui vous parle : c’est la fameuse maison de négoce filiale du Groupe Taillan. Elle vendra le cru en 1977 à la famille propriétaire actuelle : Mentzepopoulos…

Et ce fut un vrai raz-de-marée: un Hellène dans le bordelais, Oh mon Dieu !! A cette époque, le monde du vin est morose. C’est la crise économique mais aussi qualitative. André Mentzepopoulos est un personnage, un homme d’affaires aux mains d’or qui réussit tout ce qu’il entreprend. Il faut dire que son père lui en a donné les moyens. Né en 1915 à Patras, son père hôtelier lui fait apprendre des langues étrangères afin qu’il puisse partir à l’étranger faire fortune, le rêve de tout pater familias grec ! Et André comble les attentes de son père : il fait fortune en Extrême Orient dans l’import-export de céréales, puis il épouse une française et acquiert la société Félix Potin qui possède 80 épiceries de quartier en 1958. En quelques années, il la transforme en entreprise prospère avec quelques 1600 points de vente ! En 1977, l’homme, parlant plus de 6 langues mais avec toujours ce même accent chantant, achète le Château Margaux et réalise des investissements impensables à l’époque. Il fait notamment construire le premier chai enterré de la région afin de ne pas dénaturer le domaine et les belles colonades lui rappelant son pays d’origine. Cet incroyable personnage décédera en 1980, trop tôt pour voir quelle incroyable impulsion il a insufflé à ce Premier Grand Cru Classé.

Sa fille, Corinne Mentzepopoulos, poursuit alors son œuvre. Le patrimoine Félix Potin est vendu et le groupe devient actionnaire principal de Perrier. Mais devant la puissance du Groupe, Corinne fait appel à la famille Agnelli qui gère Fiat. Plus tard elle rachètera donc les parts et deviendra unique actionnaire d’Exor, le nouveau nom du Groupe. 

En tout cas, derrière les grilles, la demeure de Margaux vous observe et vous jauge… J’ai senti la puissance de la bâtisse et son élégance en même temps. Margaux, c’est ça : la puissance et l’élégance dans le verre… Mais nous verrons cela un peu plus tard. 

En attendant, rendez-vous dans la cour des vendanges, vaste espace dallé qui est totalement transformé pour les vendanges. L’utilisation des cagettes date de 2009 et les 250 vendangeurs pourraient très bien prendre leurs quartiers à Sauternes vu le travail qu’ils font directement à la vigne. En effet, le tri est directement fait sur le pied… Les cagettes sont expédiées dans la cour et aucun tri n’est effectué par la suite (pas de tri manuel et pas de tri optique). Un simple foulage est fait et tout part dans des petites cuves. Incroyable de penser que dans ces bâtiments historiques (la demeure est classée aux Monuments Historiques depuis 1946) il y a de la technologie partout et des surprises aussi !

Tonnelier sur place

Voici donc la première surprise… Le Château Margaux a sa propre tonnellerie. 200 barriques sortent chaque année de cet endroit hors du temps… Entre douelles et odeurs de chauffe, le tonnelier dédié à ce lieu est chez lui. Il fait la chauffe à la cheminée et crée de vraies barriques bordelaises… Une vraie barrique bordelaise ? Mais qu’est-ce que c’est ? La barrique bordelaise fait 225 litres et elle est composée de 4 essences de bois. Les douelles et les couvercles sont réalisés en chêne (français la plupart du temps), aux 8 cercles de fer (mais on en voit souvent que 6) sont rajoutés 4 cercles de bois de châtaignier liés par de l’osier (le vime en Gironde) placés par deux aux extrémités de la barrique. Enfin, deux barres en pin sont chevillées sur les fonds des barriques pour en renforcer la résistance. D’autres tonneliers sont utilisés par le Château Margaux pour constituer l’ensemble du parc barriques. 

Le Maître de chai est donc très orienté bois contrairement au Responsable Recherche et Développement qui privilégie l’inox… Dur donc de mixer les deux…en théorie. La majeure partie de l’élevage se fait dans des foudres traditionnelles en bois. Traditionnelles car il n’y a pas de serpentins pour gérer la température ! Vous pouvez voir sur la photo ci-dessus, à gauche, un « radiateur » géant qui est apposé sur les foudres pour rafraîchir ou réchauffer. Il n’empêche que quelques cuves inox ont été installées pour faciliter le travail des employés de chais ! Maître de chai : 1 – Responsable R&D : 1. Barrique au centre. La fermentation alcoolique se fait dans ses foudres avec l’aide de levures sélectionnées et se termine en général mi-novembre. 

Puis direction le chai de première année. Immense, qui regroupe tous les vins rouges du Château, soit 3 cuvées. Le Château Margaux, Pavillon Rouge et un troisième vin rouge… Peu d’informations le concernant, c’est la cuvée la plus récente puisque en fait elle ne sera commercialisée qu’en 2013 !! Le Pavillon Blanc n’est pas vinifié dans ce chai mais près des parcelles de blanc. En tout cas, un suivi très précis est effectué pour tous les vins : vous pouvez même voir sur la barre en pin un code barre (photo ci-dessus). Les vins post-fermentations alcooliques sont mis en barriques (pratiquement 100% de bois neuf) afin de faire leur fermentation malolactique. L’élevage en barrique va durer 2 ans en moyenne et le chai de second année enterré a une capacité d’accueil impressionnante. A la fin de l’élevage, le collage est réalisé de façon traditionnelle : on utilise 5 à 6 blancs d’œuf pour une barrique. 

La mise en bouteille se fait à la propriété mais là aussi, surprise, le Château Margaux a sa propre ligne d’embouteillage. La traçabilité se poursuit avec l’application sur les bouteilles d’un marquage au laser. Depuis 2011, un système de sécurité par code à bulles est utilisé sur les capsules afin de garantir la bonne qualité mais surtout la provenance du vin ! Car on le sait, les bouteilles de Grands Crus Classés connaissent un accroissement de contrefaçons. 

Margaux

– Pavillon Rouge, Margaux, 2008 (Cabernet sauvignon, Merlot, Petit Verdot et Cabernet Franc).

D’un beau rouge rubis limpide et brillant, le premier nez est sur le toasté. Flagrant ! Les arômes empyreumatiques sont très puissants et se mélangent avec équilibre au fruité de la prune et de la cerise. Le second nez est délicat sur le fruit croquant mais aussi des touches de cacao et d’épices douces. Très subtil pour un second vin, la bouche doit être tout en finesse. La dégustation est en effet fraîche, toujours fruitée avec des notes de fraise et de cerise. Un boisé léger emplit la bouche accompagné d’une acidité un peu mordante. Peu de tanins et une amertume légère laissent place à une belle finale. Unique et un peu saline, cette finale reprend les codes du Pavillon Rouge : cacao, cerise, épices douces, boisé, toasté et fraîcheur. C’est un vin structuré qui mérite une garde de quelques années supplémentaires. 

Comptez entre 150 et 200 euros la bouteille. Tout dépend du millésime bien sûr. 

– Château Margaux, 1° Grand Cru Classé depuis 1855 de Margaux, 2008 (Cabernet sauvignon, Merlot, Petit Verdot et Cabernet Franc).

Voici donc l’un des 5 Grands Crus Classés ! L’épée de Damoclès est au dessus du verre : il ne doit pas décevoir…et ce ne fût pas le cas. D’une robe rubis jolie et gourmande, le premier nez est frais avec des notes empyreumatiques puissantes. Café, cacao, grillé, ce nez est surprenant mais pas agressif. Des fruits apparaissent également avec des touches de cerise et de framboise entourées d’épices douces. Le second nez est toujours aussi frais, juste un peu plus cacaoté. La bouche est fraîche mais veloutée sur le bois frais et toujours des arômes empyreumatiques forts. Les tanins sont souples avec une légère astringence pas désagréable. La cerise confiturée est l’arôme fruité principal. Il y a également une belle acidité qui laisse place à une finale extrêmement longue et agréable. Des flaveurs toastées, de cerise et de framboise sont présentes. J’ai eu la véritable impression de boire un vin dans la dentelle. L’empyreumatique est quelque chose de particulier mais enrobé dans le fruit et dans une telle délicatesse, le vin est un véritable trésor. Bien sûr, il s’agit d’un vin de garde qui ne pourra que s’amplifier et s’affirmer avec le temps. 

Compter entre 500 et 700 euros la bouteille. Là aussi tout dépend du millésime. 

A la sortie de la visite, l’averse nous attendait… Nous sommes retournés vers nos vies respectives en laissant derrière nous des siècles d’histoire, mais nous avons emporté quelques saveurs en bouche que nous avons pu conserver un petit peu… La flamme dans la vigne, calmée par la pluie, s’est transformée en un épais nuage blanc qui s’est mêlé rapidement aux nuages… Quand on dit que faire du vin c’est une réunion de la terre et du ciel avec une entité supérieure, ce n’est peut être pas faux…Merci à la guide pour cette jolie visite.

Cet article vous a plu ?

Si cet article vous a plu vous pouvez le partager avec vos amis et continuer à en discuter sur les réseaux sociaux.

Facebook
Twitter
LinkedIn
Pinterest