Le Prince qui aimait la colline

Lorsque l’on parle de Premier Grand Cru Classé, certains noms (ils sont seulement cinq alors ce n’est pas très compliqué) viennent directement à l’esprit. Outre les quatre ‘monstres’ du Médoc, un Pessac complète le tableau : le Château Haut-Brion. Face à lui se trouve le Château La Mission Haut-Brion appartenant également au même propriétaire. C’est avec plaisir que je me suis rendue à une visite de La Mission. Normalement prévue en groupe, j’ai eu droit à une visite en solo ! 

Sur ces terres, l’histoire regorge… Les premières traces remontent à 1540. Entre lieu de recueillement au Moyen Age, oriflamme de la culture française dans le Nouveau Monde durant le siècle des Lumières et Sang Royal aujourd’hui, le Château La Mission Haut-Brion continue d’offrir sur chaque table autour du monde et de tout temps « ses petites lueurs de paradis ». 

« Si Dieu défendait de boire, aurait-il fait ce vin si bon ? » Cardinal De Richelieu

Deux vins d'exception

Le portail majestueux se dresse face à vous et c’est via un chemin en terre à travers les vignes que vous arrivez au Château La Mission Haut-Brion. Au bout de l’allée se dresse une belle bâtisse. Des petits jardins à la française sont entourés d’arcades en fer importées d’Espagne et sur le côté gauche de la demeure on peut retrouver un esprit religieux avec un cloître. C’est dans ce cloître que sont accueillis les visiteurs… Ce lieu est un havre de paix, tranquille dans l’air frais de ce début de Novembre, les rayons du soleil caressent délicatement l’endroit. Rénovée à plusieurs reprises, la propriété a pourtant gardé son âme. 

Au début du XVIIème siècle, Saint Vincent de Paul créa un groupement de serviteurs du Christ : la Mission. Grâce à une certaine Madame de Lestonnac, les Pères Lazaristes de cette confrérie s’installèrent au Château… Le sang du Christ étant représenté par le vin, les religieux rendirent un véritable culte au breuvage et soignèrent avec mérite les vignes de la propriété. Le vin devint célèbre et se retrouva sur de grandes tables comme sur celle du Maréchal de Richelieu. 

1789 sonne le glas de cette passion sereine, de cette osmose entre les hommes, la terre et Dieu. Une famille de la Nouvelle-Orléans reprit alors le flambeau : les Chiapella. Originaires du Nouveau Monde, ils firent connaître le vin outre-Atlantique. La Mission Haut-Brion était l’un des vins de Bordeaux vendu le plus cher. Au début des années 1900, le Château fut racheté par la famille Woltner. De nouveau, ces gens passionnés continuèrent l’œuvre des religieux. 

Le 2 Novembre 1983, Domaine Clarence Dillon SA, propriétaire alors du célèbre Château Haut-Brion, rachète le Château La Mission Haut-Brion. Une femme devient alors responsable des domaines en la personne de Madame La Duchesse de Mouchny, fille de Douglas Dillon, ancien Ambassadeur des USA en France. Le Prince Robert de Luxembourg, fils de la Duchesse, prend la direction de la propriété en 2008. Le Domaine Clarence Dillon SA a voulu conservé l’âme du Château et a donc fait de nombreuses rénovations : création d’un nouveau cuvier de haute technologie en 1987 et rénovations de la bâtisse, de la Chapelle et des caves. En 2007, de nouveaux chais ainsi qu’une nouvelle salle de dégustation voient le jour. Un centre d’embouteillage et un espace de stockage sont mis en place également. 

La Mission Haut Brion était tenu par des moines

La visite du Château La Mission Haut-Brion commence dans la Chapelle… Au plafond sont inscrits à la feuille d’or les plus grands millésimes. Un film sur l’histoire du Château est projeté et nous place directement dans l’ambiance abbatiale. Les magnifiques vitraux rendent le lieu plus chaleureux et la journée étant ensoleillée, les lumières ont pu jouer avec toutes les couleurs et danser sur les pierres de Gironde de la Chapelle.   

Le Cuvier de la Mission Haut Brion

La visite se poursuit dans le magnifique cuvier, impressionnant de par sa taille mais aussi sa technologie. Un premier mot d’ordre : constance. Un second mot d’ordre : excellence. Le cuvier est disposé sur 3 étages et donc la plupart des gestes de vinification se font par précipitation. Les cuves ont leurs fonds qui sont en pente, permettant de récupérer via un immense entonnoir le marc post-macération. Ce dernier tombe sur un tapis roulant qui est au milieu de l’allée sous le grillage : le tapis envoie directement le marc dans des pressoirs afin de faire le deuxième pressurage. Le chai est sous la gouverne d’un maître de chai qui s’occupe également de la vinification du Château Haut-Brion. Il n’y a pas d’œnologue conseil, tout se fait en interne et ce, grâce également à un laboratoire d’analyses situé sur la propriété. 

Le chai à barriques de la Mission

Le joyau du Château La Mission Haut-Brion se trouve en partie en sous-sol… Provenant des carrières de Frontenac qui a permis de construire les plus beaux monuments de Bordeaux, la pierre a été extraite afin de créer ce chai sublime. Décrite comme « une cathédrale moderne du vin », ce chai reprend les codes lithurgiques : damier noir et blanc, voutes et même un banc d’œuvre avec le symbole du Château gravé dans le bois : une croix que l’on retrouve sur l’étiquette, la croix tréflée. Avec son apparence magistrale, le chai est pourtant empli de technologie : portes automatiques sécurisées, température et hydrométrie contrôlées, barriques provennant de la tonnellerie du Château…    

Enfin, la salle de dégustation est un hommage à la famille Chiapella : la couleur bleue profonde des murs, la maquette du bâteau qui symbolise le lien entre la Nouvelle-Orléans et la France (ce bâteau que l’on retrouve également comme girouette sur le toit du Château), peintures religieuses, fleurs fraîches et lustres brillants… La dégustation peut débuter ! 

– Château La Mission Haut-Brion, Pessac Léognan 2007 (47% Cabernet Sauvignon, 43% Merlot et 10% Cabernet Franc). 

Avec sa belle couleur violine d’une très jolie intensité, ce Château La Mission Haut-Brion 2007 a un nez très fruité avec des touches de cacao. Léger et équilibré, ce vin est d’une grande délicatesse. Des notes de bois exotiques et de havane se mêlent avec le toasté. L’attaque est fraîche, franche et s’accompagne d’une belle acidité. La finale est agréable sur le fruit croquant, le cacao et la vanille. Un grand vin qui fait travailler les sens… Malgré sa jeunesse on sent le potentiel… Il faudra être patient car le cru est en train d’éclore.

– Château Haut-Brion, Premier Grand Cru Classé de Pessac depuis 1855, 2007. 

D’un beau rubis brillant, la couleur est déjà synonyme de gourmandise et de pureté. Le nez est fruité sur le cassis, la framboise et des notes de boisé se marient avec des touches de réglisse. La bouche est fraîche ainsi que boisée sur la boîte à cigare. Rond, velouté et frais, l’impression de croquer un fruit est vraiment impressionnante. Ce vin est comme une personne majestueuse : droit dans sa stature mais plein d’exubérance dans sa tenue. La finale est longue avec du cacao et des saveurs de figue ainsi que de cigare. Un mot : pureté. 

Dégustation de HB et de la Mission HB

Les deux bouteilles de Château La Mission Haut-Brion et de Château Haut-Brion: vous pouvez voir la différence entre la bouteille bordelaise et la bouteille bourguignonne qui pourtant est utilisée pour un grand vin de Bordeaux.

Le Château Haut-Brion a son histoire entremêlée avec le Château La Mission Haut-Brion: pourtant au commencement, ce n’était pas le cas. La date de création de ce cru est le 23 Avril 1525 précisément. Jean de Pontac se marie avec Jeanne de Bellon, fille du maire de Libourne : sa dot comprend les terres du lieu-dit Haut-Brion. Puis en 1533, pour quelques livres, Jean de Pontac achète la maison noble de Haut-Brion. La réunion de la terre avec la bâtisse donne naissance au Château Haut-Brion. 

Jean de Pontac était un homme de caractère, greffier civil et criminel au Parlement de Bordeaux, il se maria 3 fois (dont la dernière fois à l’âge canonique de 76 ans pour l’époque) et eu 15 enfants de ses deux premières unions. Il décéda à l’âge de 101 ans le 14 Avril 1589 ! 

En 1649, le Seigneur Messire Arnaud III de Pontac devint propriétaire de Haut-Brion. Homme d’importance et richissime, il n’oublia pas pour autant la viticulture et fut un précurseur en matière d’innovation viticole : il mit au point les techniques d’outillage et de soutirage permettant une bonne conservation du vin. Il est l’un des points de départ du « New French Claret », de grande notoriété au Royaume Uni : le « vin de Hobriono » s’est retrouvé sur la table du Roi Charles II d’Angleterre !

Le Comte Joseph de Furmel prit la tête de la propriété à la fin des années 1700. Il entreprend alors de grands travaux (création de jardins à la française, d’une orangerie) et agrandit la propriété. En 1787, l’Ambassadeur des Etats-Unis, Thomas Jefferson, vient en visite à Bordeaux et se rend au Château Haut-Brion. Il aura la clairvoyance de se rendre compte de l’extraordinaire terroir de la propriété ainsi que de 3 autres propriétés : Château Margaux, La Tour Ségur et le Château de la Fite. Le Comte est également un homme de caractère : durant la Révolution Française, il fit fondre sa vaisselle en or pour aider les indigents de la région. L’Assemblée Constituante le proclame Maire de Bordeaux en remerciement en 1790. Mais très vite, la Révolution oublie ce bienfaiteur et l’exécute sommairement suite à un bref procès mis en place par le Comité Révolutionnaire. Sous la pression de la région, abasourdie par cette nouvelle, le Comité est dissous et les responsables sont exécutés à leur tour. 

Sous la Monarchie de Juillet, les Larrieu deviennent les nouveaux propriétaires du Cru : le vin est à cette époque largement vendu aux Etats-Unis et surtout à la Nouvelle Orléans. Le Château restera dans cette famille jusqu’en 1922. 

En 1855, le Château Haut-Brion devient un Premier Grand Cru Classé de Pessac. (Il sera même reclassé en 1973 comme Premier Grand Cru Classé du Médoc suite à une longue discussion : sa situation particulière historique aura eu raison de ses détracteurs). 

Une nouvelle ère va débuter pour la propriété qui va être achetée par Clarence Dillon, un financier de New York, en 1935. Son fils reprit la tête de la propriété à son décès à l’âge de 96 ans en 1979. C. Douglas Dillon sera Ambassadeur des USA en France et sera un homme de confiance de tous les grands noms de la politique américaine : Eisenhower et JF Kennedy. A la fin de son mandat en France, sa fille Joan restera sur place et elle épousera en 1967 son Altesse Royale le Prince Charles de Luxembourg, Prince de Bourbon et descendant direct de Henri IV. Aujourd’hui, le Prince Robert de Luxembourg a succédé à sa mère au poste de Président en 2008.

Le règne des Dillon s’accompagne d’un vaste programme de rénovation du Château Haut-Brion : utilisation de la bouteille « Haut-Brion » à partir de 1958, modernisation du cuvier, construction d’un chai souterrain, ravalement du Château, réhabilitation de l’orangerie… 

Château La Mission Haut-Brion

Domaine Clarence Dillon

33608 Pessac Cedex

Château Haut-Brion

Domaine Clarence Dillon

33608 Pessac Cedex

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