L’élevage sous l’eau, mythe ou réalité

Grand Cru Classé, le Château Larrivet Haut-Brion fait partie de l’appellation Pessac Léognan. J’ai écrit un article sur le Château, sous le titre « Dans ce vin, il y a une âme » que vous pouvez retrouver dans la section ‘Pessac’:  je ne vais donc pas revenir sur l’histoire ou la vinification mais plutôt sur des événements qui sont organisés depuis plus d’un 1 an au Château, les Œnofolies. 

Les Œnofolies sont une réunion d’amateurs de bons vins et d’expériences gustatives hors du commun. Quelques privilégiés peuvent donc se rendre au Château ou dans une soirée sur la capitale pour vivre un moment d’exception. Voici les dernières Œnofolies qui ont eu lieu:

– Œnofolies 1 le 25 Juin 2011 entre le Cap Ferret et Léognan : Entre Terre & Mer, une exploration et des dégustations d’exception… 

– Œnofolies 2 le 22 Novembre 2011 à Paris : Château Larrivet Haut-Brion convie Ruinart et Caviar à « jouer du palais »…

– Œnofolies 3 le 14 Février 2012 à Paris : Vin artistique ou Art enivrant ? 

– Œnofolies 4 le 17 Novembre 2012 à Léognan : L’élevage du vin en mer, dimension légendaire ou réalité scientifique ? 

 J’ai assisté à cette dernière, thème de cet article.  


« Exception, Délectation, Exploration« 

Larrivet Haut Brion

Nous étions une vingtaine de personnes à pouvoir assister à cette dégustation. Accueillis en personne par Emilie Gervoson, la fille aînée du propriétaire, ambassadrice et créatrice des Œnofolies, nous avons pu prendre un magnifique bain de soleil avant de démarrer la visite des chais sous l’égide du Directeur Général Bruno Lemoine. 

Bruno Lemoine, grand passionné, nous raconte comment est venue l’idée de cette expérience. Au cours d’un repas entre Pierre-Guillaume Chiberry – Tonnellerie Radoux, Joël Dupuch – ostréiculteur acteur et lui même, la conversation a tourné autour du célèbre Marquis d’Estournel qui envoyait du Bordeaux aux Indes au XVIIIème siècle. Les invendus revenaient et étaient bien meilleurs qu’à leur départ! L’étincelle de folie a donc jailli et quelques mois plus tard, un barricot (produit par la Maison Radoux bien sûr) a été immergé dans le parc à huîtres de Joël Dupuch entre vent et marées. Il fallait vérifier si cette théorie était vraie et comparer un vin, élevé en mer connaissant les variations atmosphériques et les marées, et un vin élevé dans un chai avec un univers équilibré…  

« Mettre de l’eau dans son vin« 

Les barriques

Il y a vingt siècles de cela, Lucius Columelle, grand agronome romain, conseillait de mettre de l’eau de mer dans son vin. En effet, il était commun de rajouter de l’eau ou de l’eau de mer dans son breuvage pour en adoucir et accentuer le goût. L’histoire veut déjà que l’océan soit au cœur d’un mythe viticole avec les découvertes de bouteilles de vin du Titanic ou de Champagne dans la mer Baltique (dont une bouteille de Veuve Clicquot de 170 ans vendue 78 400 dollars aux enchères), sans parler des amphores romaines ou grecques dans la Mer Méditerranée. 

Des études ont été menées en Amérique du Sud mais aussi au Pays Basque espagnol pour tenter de percer le mystère. Les hommes d’aujourd’hui, poussés par la curiosité, veulent savoir si c’est une réalité ou veulent tout simplement jouer la carte de l’originalité pour des consommateurs avides de nouveauté. Il n’est pas donc pas rare de croiser des vignobles qui élèvent leurs vins en amphores comme le Clos Romain, ou le Château Du Coureau qui a choisi le Bassin d’Arcachon pour ses bouteilles de Grave Blanc des Cabanes ou encore l’Egiategia de Emmanuel Poirmeur qui est élevé  dans la baie de Saint-Jean-de-Luz dans des cuves en béton… Il y a bien d’autres exemples gourmands à citer mais en attendant un Grand Cru Classé de Bordeaux a tenu à faire cette expérience… Verdict: l’élevage sous l’eau n’est plus une légende pour ceux qui l’ont goûté…

Présentation des 3 barricots par Pierre-Guillaume Chibérry de la tonnellerie Radoux: les 3 barricots de 56 litres chacun ont été réalisés en bois de chêne avec une chauffe classique identique à celle des barriques que l’on trouve habituellement dans le chai du Château. La première barrique devait faire un tour du monde: le destin a voulu que lors de la Fête du Fleuve, le bâteau sur lequel elle avait embarqué a effectué 500 mètres avant d’avoir un accident, abandon donc de ce projet. La seconde barrique, vu son état, ne vous trompe pas : il s’agit de la barrique immergée dans le parc à huîtres de Joël Dupuch. Enfin le dernier barricot est celui où le vin est resté 6 mois supplémentaires dans la propriété. Bien sûr, ces barricots ont été faits sur-mesure avec des bondes spéciales en inox et ils ont également été scellés en présence d’un huissier. 

Les 3 barricots ont bien sûr étaient remplis avec le même millésime : 2009, année exceptionnelle.

En février 2012, les barricots ont été descellés pour subir une série d’examen par le Laboratoire d’Analyse vinicole Michel Rolland afin de concrétiser les possibles différences. Puis une dégustation a été réalisée en présence, notamment, du célèbre dégustateur Bernard Burstchy. Devant l’étonnante conclusion, il a été convenu qu’une poignée de privilégiés pourrait goûter ce vin lors d’une Œnofolie. Avec les 56 litres de chaque barricot ont été remplis 20 magnums et 20 bouteilles. Afin de continuer l’expérience, une grande partie des magnums et bouteilles va être conservée et dégustée au fil du temps pour apprécier l’évolution de la garde.  

Sur la photo ci-dessus, vous avez dans l’ordre de dégustation les 3 Châteaux : Classique, Tellus et Neptune. 

– Château Larrivet Haut-Brion, Pessac Léognan 2009.

D’un beau rubis limpide et brillant, éclatant, ce Château Larrivet Haut-Brion 2009 est plein de promesses. Le premier nez est délicat et frais sur une touche de menthe. Le fruit croquant est extrêmement présent comme la framboise notamment. Il y a aussi quelques épices douces fort agréables. Le second nez est tout aussi délicat. Les arômes de bois se mêlent tranquillement à l’ensemble. La bouche est délicate, fraîche avec des notes de cacao, de fruits croquants (cerise et framboise) mais aussi un boisé léger. La finale est fine et puissante, parfumée. Un beau millésime de grande garde. 

– Château Larrivet Haut-Brion, Tellus(6 mois d’élevage supplémentaire en barrique), Pessac Léognan 2009.

Ce cru est donc resté 6 mois supplémentaires en barrique. Cela n’a pas influencé sa couleur: un beau rubis séducteur et séduisant. Le premier nez est toujours aussi frais mais paraît plus boisé avec des touches de pruneau. Le second nez laisse apparaître une touche mentholée avec un bel équilibre entre le bois et le fruit. La bouche enfin est souple, mentholée et kirshée. Les tanins sont souples et une légère astringence est présente en finale. Des flaveurs de réglisse, cacao et de fruits compotés sont agréables et laissent place à une finale sur la framboise. Plus asséchant que le précédent, l’ensemble reste extrêmement délicat et promet une belle évolution…un vin sur la puissance, le corps. 

– Château Larrivet Haut-Brion, Neptune(6 mois d’élevage sous l’eau), Pessac Léognan 2009. 

Enfin, le tant attendu Château Larrivet Haut-Brion,plongé dans le Bassin d’Arcachon pendant 6 mois, a été baptisé « Neptune »: les 4/5ème du temps, le barricot était sous l’eau (en fonction des marées) et  il a donc connu un peu l’air libre. La couleur de ce cru est aussi éclatante que ses congenères, rubis peut être un peu plus évolué, intense et brillant. Le nez par contre est véritablement différent : plus rond, plus souple sur le fruit compoté cuit. Le second nez est kirshé, limite sur le balsamique. Il y a toujours une grande fraîcheur mais le nez est plus doux, moins direct. La bouche est veloutée avec des notes de fruits rouges et noirs accompagnées d’épices douces. Moins amer que les précédents, la finale a des tanins soyeux sur le fruit. Une curieuse impression saline reste en bouche, agréable. 

Le fait d’avoir connu une partie de l’élevage sous l’eau a permis une polymérisation des tanins (ils sont donc plus souples) mais également une salinisation (80 mg/L sodium, comme dans la Badoit !) grâce à une pénétration par osmose du sel dans le bois. Le sel étant un exhausteur de goût, le vin paraît plus gourmand. De plus, le Château Larrivet Haut-Brion ‘classique’ est à 14,2% d’alcool contre 13,6% d’alcool pour Neptune après son passage dans le Bassin d’Arcachon. 


 « J’adore les huîtres : on a l’impression d’embrasser la mer sur la bouche.« 

La Bland de Larrivet HB
Les huîtres

Pour finir sur une note festive, le Château avait prévu une dégustation du second vin blanc avec les fameuses huîtres de Joël Dupuch. Oncteux en bouche, Les Demoiselles de Haut-Brion (nom donné en hommage aux 3 filles du propriétaire, dont la créatrice des Œnofolies, Emilie Gervoson) est un vin blanc sec agréable, frais, fruité et boisé. Idéal pour accompagner des huîtres bien évidemment!    

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